lundi 24 janvier 2011
Revue de presse - Veille documentaire
Création de la FIRPS - Fédération des Intervenants en Risques Psychosociaux
Au coeur des discussions ces dernières semaines, le regroupement, depuis le 17 novembre, de six cabinets spécialisés dans la prévention et le traitement des RPS : Artélie Conseil, Capital Santé, IAPR, IFAS, Psya et Stimulus. Une initiative qui ne va pas de soi : le dernier numéro de Liaisons Sociales (n°118, janvier 2011) titre, au sujet de la rencontre du 9 décembre à la Direction Générale du Travail, "Les experts du stress se déchirent", reprenant ainsi la tonalité du billet paru le 10 décembre sur Miroir Social "Les experts des risques psychosociaux se frictionnent au ministère". La volonté clairement affichée par la FIRPS est de "faire le ménage" dans la profession - et de proposer aux entreprises demandeuses un label qualité destiné à les protéger des gourous alléchés par la mode soudaine qui semble profiter au marché des RPS. De fait, la recherche de la garantie d'une certaine qualité de service est une démarche vertueuse contre laquelle on ne peut guère protester. La prise en compte officielle, somme toute récente, des "risques psychosociaux" - une dénomination désormais standardisée - dans la législation française du travail a pour conséquence attendue une étape de normalisation de la profession. D'ailleurs, un des projets sur lequel travaille le plus activement la FIRPS est l'élaboration d'une charte éthique et déontologique. Alors, pourquoi parler de frictions voire de déchirements dans le milieu des experts des RPS ? Essentiellement, comme le rappelle Liaisons Sociales, parce que les modalités du regroupement sont fondées sur le chiffre d'affaires des cabinets (au moins 300 000 euros) et sur la part des RPS dans leur activité (au moins 50%) : "[d]e quoi laisser à la porte petites sociétés et gros cabinets RH". Or, au-delà d'une exclusion qui serait préjudiciable commercialement à ces entités, il faut bien en revenir à la question de la qualité de l'expertise qui est censée être au centre de la démarche : les cabinets de taille plus modeste, comme les services spécialisés des gros cabinets généralistes, sont-ils vraiment moins aptes à offrir un service valable aux entreprises ?
Interroger les méthodes et les objectifs des formations aux RPS
"Former les managers, et après ?", c'est la question posée par un dossier d' Entreprises et Carrières (n° 1031). Il en ressort que, pour viser une efficacité réelle dans la prévention des RPS, l'accent est à mettre non sur le traitement immédiat des symptômes déjà visibles mais plutôt sur une remise en question, en amont, de l'organisation même du travail. Plusieurs témoignages permettent de nourrir la réflexion sur ce point : ateliers d'analyse des pratiques managériales chez Dupont de Nemours ; groupes de travail sur les thèmes du management ou encore de l'usure professionnelle à la Banque de France ; augmentation du recours aux coaches pour des formations de type comportemental chez PWC ; assises nationales réunissant syndicats et membres de CHSCT chez France Telecom. On notera par exemple les différences de politiques internes : formations obligatoires ou optionnelles, réservées aux seuls cadres ou étendues à l'ensemble du personnel.
Besoin de reconnaissance et RPS
Le sociologue Olivier Galland explique dans Liaisons Sociales (n° 118) que les chiffres en hausse de la satisfaction au travail des Français sont explicables avant tout par la part importante des PME en France : "les conditions de travail" y seraient en effet "moins détériorées que dans les grandes entreprises". L'insatisfaction est parfois liée à un "besoin de reconnaissance", auquel Courrier Cadres (n° 47) consacre un dossier en deux parties : la première pose le problème du statut des cadres et de la reconnaissance qui leur fait parfois défaut ; la seconde, plus pragmatique, entend prodiguer divers conseils : aux managers, quant à l'art subtil de la réassurance ; aux salariés, quant à la maîtrise et à la compréhension de leur besoin, normal au demeurant, de reconnaissance. Le slogan choisi par l'UGICT-CGT pour ses Etats Généraux, qui se sont tenus le 13 janvier 2011, fait également écho à cette problématique de la reconnaissance.
Crédit photo : Knowtex
mardi 18 janvier 2011
Le bien-être au travail, entre "santé mentale" et "mental wellness"
L'OMS vient de publier un rapport intitulé " Santé mentale et bien-être sur le lieu de travail [Mental Health and Well-Being at the Workplace] ". Le point de départ de la réflexion est la crise financière récente et la fragilité des perspectives d'emploi qui en résultent : quels sont les effets sur les travailleurs ? Jouant sur la latitude sémantique du terme "santé mentale", le rapport s'engage également dans une analyse de l'emploi des personnes souffrant de troubles mentaux, que ceux-ci soient la conséquence ou la cause de difficultés professionnelles. Dans cette perspective, la prévention du stress au travail devient un enjeu de santé publique visant à réduire la prévalence des troubles mentaux en général et à garantir le "bien-être" psychologique pour tous. De ce point de vue, cette démarche n'est pas sans faire écho à la promotion grandissante, en contexte anglo-saxon, de la notion de "mental wellness" au travail - de bonnes intentions qui ne sont pas sans conséquences, selon certaines critiques.
" Les crises économiques sont aussi des crises sociales et psychologiques. […] En tant que consommateurs, les gens renoncent à des achats importants. Les employés font bien attention à ne pas être trop critiques ou à ne pas prendre trop vite un congé maladie. Les employeurs hésitent à prendre des risques, y compris dans leur vie personnelle. Une crise rend les gens incertains et anxieux ; ils se regardent avec une plus grande jalousie et tentent de préserver le plus possible leur propre poste. Il est difficile de les blâmer, puisqu'ils ont souvent une famille dont ils sont responsables. [texte original en anglais] " Voilà qui donne le ton : le rapport " Santé mentale et bien-être sur le lieu de travail [Mental Health and Well-Being at the Workplace] " de l'OMS fait de la crise récente un facteur de crispation sur les lieux de travail. Exigences de compétitivité accrues, moral en baisse, repli sur soi et peur du lendemain : les plus égoïstes des réflexes humains se trouvent ici décrits comme la conséquence logique du sentiment d'insécurité qui caractérise le marché de l'emploi post-crise.
Dans ce contexte, le rapport traite la prévention comme le soin des troubles mentaux de façon globale, que les troubles en question soient causés par le travail ou qu'ils lui préexistent : " Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale peuvent être divisés en trois groupes. Entre un sixième et un tiers de la population en âge de travailler en Europe éprouve des symptômes tels que les troubles du sommeil, la fatigue, l'irritabilité et l'inquiétude, symptômes qui ne suffisent pas pour poser un diagnostic de trouble mental, mais qui peuvent affecter la capacité d'une personne à agir. Un autre groupe présente des symptômes qui correspondent aux critères d'un diagnostic de par leur nature, leur sévérité et leur durée (dépression et anxiété ou un mélange des deux). Ceux-ci seraient pris en charge par un professionnel de la santé s'ils se présentaient à lui. Un troisième groupe a ou aura une maladie mentale sévère telle que la schizophrénie ou un trouble bipolaire. [texte original en anglais] ".
Ce tableau symptomatique, qui rassemble pêle-mêle ce qui relève des possibles conséquences du mal-être au travail (stress, dépression) et les pathologies mentales dont l'étiologie est a priori étrangère au travail (schizophrénie, troubles bipolaires), est à comprendre en termes de prévention globale du point de vue de la santé publique.
C'est une approche similaire qui guide ce rapport gouvermental français de 2008. L'insécurité de l'emploi y est dûment listée comme facteur de risques psychosociaux, risques sont la prévention est justifiée par la prévention des maladies cardiovasculaires et des pathologies mentales pour l'ensemble de la population. Outre la question de la santé publique cependant, la visée principale de ces approches en termes de « bonne santé mentale » est de nature économique dans la mesure où il s'agit de d'éviter, selon l'OMS, les deux faces de la même médaille que sont l'absentéisme (être souvent absent de son lieu de travail pour cause de maladie) et le présentéisme (être présent sur son lieu de travail alors qu'on est malade, potentiellement contagieux, en incapacité d'être à son poste etc.), deux obstacles majeurs à la productivité et l'efficacité des organisations de travail.
Alors, Mens sana in corporation sano, un nouvel idéal ? Selon The Economist, cette pensée n'est pas entièrement positive : " [...] promouvoir le bien-être psychologique efface une frontière importante entre le privé et le public et soulève des questions sensibles. Les entreprises doivent-elles s'immiscer dans la vie émotionnelle des gens ? Peut-on leur faire confiance quant aux informations qu'elles rassembleront sur le sujet ? […] Peu de gens mettraient en doute l'idée qu'une bonne santé physique garantit une bonne productivité ; mais il ne va pas de soi qu'une attitude mentale positive soit bonne pour un travailleur ou sa production ; l'histoire montre que jusqu'à présent les gens décalés voire "inadaptés" [misfits] se sont révélés bien plus créatifs que les bienheureux optimistes. [texte original en anglais] " Cette prise de parti a le mérite d'attirer l'attention sur le fait que, à céder à l'obsession de la pensée positive comme norme, on risque d'attirer bon nombre de charlatans du "mental fitness", sans réelle compétence ni compréhension des enjeux liés aux problématiques professionnelles. La prise de conscience des limites de cette approche plaide sans doute aussi en faveur d'une distinction plus nette, dans l'analyse des risques psychosociaux, entre prise en charge médicale des troubles psychiatriques et recherche du bien-être psychologique des salariés.
Crédits photo : nico h, 2007
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