mardi 22 février 2011

Revue de presse - Veille documentaire


Technostress, le nouvel ennemi ?

Les nouvelles technologies créent une situation paradoxale que les salariés expérimentent quotidiennement : si elles permettent souvent de gagner du temps, elles alourdissent aussi considérablement la charge de travail. Deux problèmes se posent donc : la gestion d’un flux d’information de fort volume et continu (information overload), et la maîtrise du temps de travail. Les mails arrivent désormais directement sur le smartphone, et y répondre en dehors des heures de bureau est devenu courant : « il est urgent de déconnecter », affirme un dossier très complet du dernier numéro d’Entreprises et Carrières (n° 1036). Les risques psychosociaux propres au technostress font l’objet d’une attention nouvelle et appellent la mise en place de plans d’action spécifiques : Canon France a par exemple créé une journée sans mail (une initiative également prise par Michelin), durant laquelle les contacts en face à face sont à privilégier. Pour les syndicats, une telle initiative a pour possible effet pervers de reporter purement et simplement la charge de travail au lendemain : une critique vraisemblablement recevable, même si cette journée « off » permet sans doute de prendre conscience que le mail doit vraiment être utilisé selon certaines règles (messages automatiques d’absence pendant les jours de congé, par exemple).
Chez Microsoft, la lutte contre le technostress passe d'ailleurs par quelques recommandations simples pour l'usage du mail : résumer, à l’attention de son destinataire, les pièces jointes qu’on lui fait parvenir, ou bien encore distinguer clairement les messages « pour info » ou « pour action ». Plus généralement, un observatoire de la santé va également être mis en place chez Microsoft. Trois actions sont prévues : 1) un questionnaire d'évaluation des risques proposé au salarié lors de sa visite médicale annuelle, 2) un module elearning de 30 minutes, sur les RPS, pour l'ensemble des collaborateurs et 3) des ateliers facultatifs de relaxation.
Chez 3M, il s’agit de privilégier les relations directes au sein de l’entreprise, et de maintenir une « plage horaire raisonnable » pour le temps de travail - une formulation qui laisse à l’appréciation de chacun l’organisation de sa relation à son netbook ou à son smartphone… Les syndicats critiquent précisément le fait que, en l’absence de directives plus fermes, le salarié se retrouve finalement « premier responsable de sa santé au travail ». Une critique qui fait finalement écho à l'inquiétude d'un certain nombre de professionnels devant des approches RPS « trop centrées sur l'individu ». Comme le rappelle Hervé Lanouzière, de la Direction générale du travail (DGT), la prévention des RPS est avant tout une question d'organisation du travail - le seul paramètre sur lequel les employeurs puissent réellement agir.



Les RPS et le dialogue social en Europe


C'est un centrage identique sur l'organisation du travail qu'on retrouve dans le dernier rapport d'ASTREES sur le traitement des RPS en Europe. L'Association Travail, Emploi, Europe, Société a en effet piloté un projet cofinancé par la Direction Générale Emploi, affaires sociales et égalité des chances de la Commission Européenne : « « Risques psychosociaux, services et dialogue social ». Le rapport rend compte d'enquêtes dans les pays et secteurs suivants :
- Belgique : centres d’appels
- France : administration pénitentiaire et caisses de sécurité sociale
- Hongrie : secteur bancaire
- Italie : secteur bancaire
- Royaume-Uni : secteur hospitalier
Même si des différences entre pays existent (par exemple, la Hongrie s'en tient à la règlementation européenne, alors que d'autres enrichissent le cadre d'outils législatifs qui leurs sont propres), un constat semble important : pour l'ensemble des pays et secteurs étudiés, apparaissent des « difficultés à initier des processus de dialogue social sur les risques psychosociaux », et ce pour deux raisons :
- la nature conflictuelle ou à tout le moins complexe des « relations entre les employeurs et les représentants des salariés (singulièrement les syndicats) mais aussi [des] relations entre les organisations syndicales et les salariés »
- l'absence de consensus autour des « solutions perçues comme pertinentes pour prévenir les risques psychosociaux et, comme telles, susceptibles d’être portées par des processus de dialogue social. »
Pour l'ensemble des acteurs concernés néanmoins, la réponse à ces difficultés passe par une réflexion de fond, en termes de prévention primaire : « la prévention des risques psychosociaux doit s’appuyer sur une analyse collective des changements susceptibles d’affecter les activités de travail, des modes d’organisation du travail et de l’environnement de travail. Par voie de conséquence, toute approche de prévention fondée sur une modification des comportements ou des pratiques individuelles (ceux de chaque travailleur, salarié ou agent public) est perçue comme inutile voire dangereuse. » C'est dans cette perspective que pourrait se construire un dialogue social efficace, le rapport préconisant un renforcement des liens entre syndicats et salariés, de telle sorte que l'employeur puisse accéder à « une connaissance fine de la réalité du travail concret ».

Crédit photo : YannGar

mardi 15 février 2011

Le stress du pouvoir


Une étude parue dans Psychological Science suggère que les détenteurs du pouvoir sont plus prompts à agresser leurs subordonnés lorsqu'ils se sentent incompétents - la compétence dans l'exercice du pouvoir étant ici définie comme le sentiment d'être capable d'influencer les autres. Cette corrélation, sur laquelle âge et sexe n'auraient pas d'influence, s'effacerait au fur et à mesure que l'on descend l'échelle hiérarchique.


Depuis la mise en circulation du terme « harcèlement moral » forgé par Marie-France Hirigoyen, la question de la souffrance au travail a été largement traitée du point de vue des « conduites abusives » perpétrées à l'encontre de salariés - par des supérieurs hiérarchiques en particulier. La définition donnée par l'INRS à l'attention des médecins du travail en 2007 est de ce point de vue révélatrice : « Le harcèlement est défini comme une pathologie de la solitude, issue de techniques de management favorisant la désolidarisation des collectifs de travail. »
Une telle formulation semble ambiguë : à la lecture du texte qui la précède, il semble bien que la solitude soit bien celle du salarié qu'on harcèle. Pourtant, à strictement parler, le harcèlement n'est pas une pathologie du harcelé : ce sont les conséquences du harcèlement qui en sont une pour lui. Le fait que le terme « harcèlement » se confonde petit à petit avec les symptômes des victimes ferait donc presque oublier que le stress au travail est en fait partagé par tous les acteurs de la situation. D'ailleurs, le positionnement de chercheurs en management comme Wayne Hochwarter, du Business College de l'Université de Floride, fait clairement émerger le corollaire de ce focus sur la victimisation des salariés : le « boss » est toujours présenté comme un potentiel bourreau.

Alors, le pouvoir rend-il méchant ? Si le « boss » en question n'est pas stressé, pas forcément, soutient une étude américaine qui tente de distinguer les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir au travail peut se révéler pathogène. Si elle s’appuie sur une observation préliminaire des conditions réelles de travail, cette étude de psychologie expérimentale a tout de même les défauts inhérents à l'expérimentation : elle provoque des réactions de façon artificielle, chez des sujets conscients de participer à une expérience scientifique. Néanmoins, les résultats obtenus ici ne sont pas sans intérêt pour la question de la prévention des risques psychosociaux, dans la mesure où la perspective est non pas celle du stress de la victime mais celle du stress de l'agresseur – le stress au travail étant donc ici non plus seulement un symptôme mais également une cause du dysfonctionnement organisationnel et relationnel. L'étude When the Boss feels Inadequate. Power, Incompetence, Aggression invite donc à relire de façon plus large, en y incluant tous les acteurs, la définition donnée par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : « un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas, eux, uniquement de même nature. Ils affectent également la santé physique, le bien-être et la productivité ».

Dans les expériences menées par les auteurs, la compétence est définie entièrement du point de vue des représentations subjectives : être compétent-e, c'est ici uniquement se sentir capable d'influencer les autres. Les expérimentateurs ne se risquent pas à une évaluation de la compétence réelle, et ce parce que les sujets qu'ils observent ne sont pas de véritables dirigeants mais en jouent le rôle le temps de l'expérience.

Le résultat principal est qu'être en position de pouvoir élève mécaniquement les exigences auxquelles on pense devoir répondre : il s'agit d'être à la hauteur, et la pression qui en résulte est fragilisante. Si l'on a l'impression de ne plus avoir l'influence nécéssaire sur ses collaborateurs, le recours à l'agression devient un moyen de retrouver le contrôle sur l'environnement.

Comme le soulignent les auteurs eux-mêmes, un tel résultat ne fait que confirmer ce qu'un certain bon sens pouvait faire pressentir : on peut penser par exemple aux stratégies de flatterie, qui sont un remède bien connu pour qui cherche à se protéger des foudres d'un pouvoir peu sûr de lui et prompt à s'en défendre par des comportements agressifs. Un feedback positif sur leur compétence dans l'exercice du pouvoir a ainsi inhibé les conduites agressives de certains participants à l'étude, alors que ceux qui n'ont eu qu'un retour neutre se sont révélés plus hostiles avec leurs subordonnés. Evidemment, il ne s'agit pas pour les auteurs de recommander la flatterie comme moyen de défense contre l'agression au travail : comme ils le soulignent ironiquement eux-mêmes, la flatterie a finalement pour effet pervers de faire perdre le sens des réalités à son bénéficiaire. Ils plaident plutôt pour une meilleure compréhension des enjeux, notamment psychologiques, liés aux positions de pouvoir : leurs détenteurs cherchent à préserver non seulement leur influence sur les autres, mais aussi leur ego. On a là un écho intéressant à la définition donnée du pouvoir par Pascale Molinier : « Du point de vue de la santé mentale, le pouvoir n'est pas une fin en soi mais un moyen, un moyen très puissant de souffrir moins. » Ainsi l'évitement du stress pour l'un devient souvent le stress de l'autre... Il convient tout de même de garder à l'esprit que, statistiquement, la source première d'agression pour les salariés n'est ni le supérieur hiérarchique ni le collègue, mais, pour les professions en contact avec le public, les usagers de leurs services.

Crédit photo : Wonderlane

mardi 8 février 2011

Revue de presse - Veille documentaire


RPS, une profession en (re-)définition

Les débats autour de la création de la FIRPS semblent avoir pour effet secondaire intéressant la stimulation, au-delà des polémiques, d'une réflexion de fond sur le champ des RPS en France. C'est notamment l'objet d'une tribune du sociologue Yves Grasset sur le portail Intelligence RH : il y pointe deux risques majeurs pour les acteurs de la prévention des RPS, à savoir "la dérive gestionnaire" et "la psychologisation". Il plaide donc en faveur d'une redéfinition du projet de la profession - la prévention primaire étant appelée à y occuper une place centrale - et d'une évaluation "sans concessions" de "ce que produisent [les] interventions de prévention sur les RPS".
Le texte de Frédéric Fougerat, publié sur Focus RH, revient lui aussi sur l'obligation désormais incontournable de prendre en compte les RPS, mais pointe également le caractère "sensible" de toute intervention. Il détaille ce qui peut la rendre contre-productive, en particulier l'absence d'un plan de communication interne cohérent et susceptible d'accompagner les acteurs concernés tout au long du processus.


On se motive...


Courriers Cadres (n°48, février 2011) consacre un long dossier à la notion d'incentive ("motivation", en anglais), laquelle reçoit la définition suivante : "L'incentive est un schéma de récompense et de reconnaissance des membres qui vont y participer." Sont ainsi donnés plusieurs exemples d'actions menées en ce sens (avantages financiers divers, distribution de prix). Néanmoins, alors que se trouvent mises en avant les actions en faveur de la convivialité et de la cohésion des équipes (le fameux "team building"), il semble que les slogans qui illustrent le dossier - par exemple "On concourt ensemble, on gagne ensemble et on part ensemble" - puissent parfois se trouver en contradiction avec le type d'actions "incentive" décrites, la majorité d'entre elles reposant sur la récompense individuelle des "meilleurs"...
La question de la motivation par la reconnaissance reste donc délicate, entre mise en valeur de l'individu et préservation de la solidarité du groupe : l'ambivalence de la compétition - potentiellement émulation aussi bien qu'inhibition - est ici en cause.
D'ailleurs, la compétitivité peut-elle être "sociale" et "humaine" ? Un article d'Alternatives Economiques (n°299, février 2011), qui commente un rapport récent de l'OSEO consacré aux PME allemandes, répond positivement ; c'est le "respect du salarié" qui serait la clé : la valorisation et le développement des savoirs détenus par le salarié seraient ainsi au coeur de la culture d'entreprise outre-Rhin. Un tableau idéal à nuancer cependant : les conventions collectives, qui garantissent en particulier l'accès à la formation, ont tendance à disparaître.


My smartphone is rich - du jeu à la vidéosurveillance

Une enquête menée auprès de cadres montre que les nouvelles technologies, smartphones en tête, sont significativement utilisées "à titre de divertissement" au bureau. Si le stress est donc possiblement provoqué par le caractère envahissant des moyens actuels de communication (les professionnels du marketing, récemment sondés, pointent le flux continu des mails comme source de stress importante), il apparaît donc que l'exploitation de la fonction "jeu" du smartphone soit un remède aussi efficace qu'apprécié. Mais un détournement peut en cacher un autre, sans doute moins léger celui-là, puisque la vidéosurveillance au bureau passe aussi par le smartphone : "[l]es téléphones de troisième génération (3G) seraient la nouvelle arme massive de surveillance à distance ; en connectant sa caméra à un enregistreur connecté à Internet, on peut visionner les images capturées depuis son smartphone". "Espionner les salariés", comme le dit l'article de Rue89, est donc une nouvelle possibilité offerte par la technologie - et une mode qui, si elle se confirme, serait un indice plutôt négatif de l'évolution de certaines ambiances de travail...



Crédit photo : Serigne Diagne

mardi 1 février 2011

Concilier travail et parentalité : la demande des pères


Un nouveau défi pour les entreprises serait de s'adapter à l'émergence d'une demande masculine d'exercer ce qui était traditionnellement vu comme un "métier de femme", à savoir la prise en charge de la sphère domestique. Selon une étude de l'Ecole de management de l'Université de Lancaster, il s'agit notamment de veiller à ce qu'une certaine flexibilité dans l'organisation du travail puisse être accordée à tous les employés, quel que soit leur sexe et quelle que soit leur position hiérarchique. A la clé, un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle pour les pères, et moins de stress au travail.


On ne travaille pas qu’au travail, et c’est une évidence… plutôt féminine. De retour à la maison, repassage, vaisselle et soin des enfants restent encore majoritairement une affaire de femmes, même si la tendance est à l'augmentation de la part prise par les hommes au travail domestique. Il y a ainsi le travail "payé" (le professionnel) et le travail "non payé" (le domestique) : pour les femmes, le temps consacré à ces deux types de travail a progressivement baissé sur les dernières décennies, cependant que, du côté des hommes, la part du travail domestique a sensiblement augmenté. C'est la raison pour laquelle les femmes n'expriment paradoxalement pas plus de difficultés que les hommes à concilier travail et maison : leur volume de travail payé est souvent plus faible que celui des hommes. Néanmoins leurs temps de loisir est caractérisé par une fragmentation résultant d'une plus grande pression des obligations domestiques sur leur emploi du temps global : le déséquilibre subsiste dans le partage des tâches au quotidien.

Et voilà justement qu'une étude de l'Ecole de Management de l'Université de Lancaster, intitulée Work-life balance, Working for fathers, vient encourager les hommes à s'investir encore un peu plus dans la vie quotidienne du foyer : un meilleur équilibre entre « vie » et « travail » serait le secret des hommes peu, ou en tout cas moins, stressés... C'est une idée qui n'est évidemment pas passée inaperçue, et Rue 89 fournit sur le sujet une synthèse aussi amusée qu'amusante, arguant que, pour rendre un homme zen, il suffit de le mettre au ménage : un régal pour la blogosphère féministe, qui diffuse aussitôt le bon conseil...

En fait, la question du partage des tâches, une problématique plutôt féministe et militante jusqu'à présent, se complexifie : à en croire les études qui s'accumulent sur le sujet, les hommes sont de plus en plus nombreux à exprimer le désir d'avoir à la maison une place pensée comme un pendant indispensable à leur vie professionnelle. Les pères seraient ainsi majoritairement favorables à ce que ce soit le conjoint (quel que soit son sexe) qui gagne le plus qui soit celui qui travaille à l'extérieur – tandis que, moins enthousiastes à ce sujet, les femmes considèreraient quant à elles que le soin des enfants relèvent, quelle que soit la configuration professionnelle du couple, plutôt de leurs prérogatives.

Dès lors, les enjeux d'une telle évolution des mentalités pour l'organisation du travail – et conséquemment pour la prévention du stress au travail – sont cruciaux. L'étude de Lancaster avance ainsi que, « en comprenant mieux à la fois les décisions que prennent les pères et la relation qu'ils ont à leur travail, et en comprenant comment celles-ci sont influencées par la façon dont ils peuvent concilier travail et responsabilités familiales, les employeurs seront capables de trouver des stratégies d'adaptation pour un travail plus father-friendly. Les retombées positives de ce processus seront partagées par les individus comme l'organisation. ». Il s'agit d'engager les entreprises à viser une meilleure connaissance des préoccupations de leurs salariés : « Combien d'organisations, par exemple, connaissent la façon dont varie le niveau de stress des pères en fonction du nombre d'enfants qu'ils ont, et la façon dont ceci est médié par le salaire ? ». Un résultat important de la recherche est que les pères qui souhaitent s'investir plus dans le travail domestique rêvent de plus de flexibilité dans leur travail : si l'on sait que flexibilité peut rimer, dans ses formes extrêmes, avec précarité, une certaine forme de flexibilité, confortable celle-là, relèverait plutôt selon eux d'un privilège managérial : les chercheurs britanniques recommandent ainsi aux entreprises de veiller à ce que « la réglementation de la flexibilité du travail concerne tous les groupes d'employés ». Cette observation vient nuancer l'idée, issue de l'enquête française SIP 2007, que les cadres et les non-salariés expriment plus de difficultés que les employés et ouvriers à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Difficile donc de donner une formule miracle pour le work-life balance, compromis délicat dans la réalisation duquel les questions de genre et de position hiérarchique jouent visiblement un rôle clé.

Crédit photo : jfgornet