jeudi 16 juin 2011

La dépression et le stress comme conséquence de conflits au travail


Une étude japonaise récemment publiée dans Social Science and Medicine explore les corrélations entre les conflits au travail et la dépression. L'intérêt de cette étude est qu'elle mobilise la notion de statut socio-économique (SES – Socioeconomic status) pour analyser les résultats obtenus : les deux principaux critères pour le déterminer sont le niveau de diplôme et la profession. Le résultat principal est que les hommes ayant un statut socio-économique élevé, donc les cadres, sont plus sensibles que les autres aux effets négatifs des conflits interpersonnels au travail.

Les risques de dépression et de stress au travail augmentent avec les conflits entre groupes et entre individus : rien que de très intuitif jusque là, une ambiance de travail dégradée étant un des facteurs de risque majeurs dans le domaine psychosocial. L'étude japonaise ici présentée distingue trois types de conflits : conflits entre groupes, conflits au sein de groupes, conflits entre personnes. Elle introduit également un point de vue catégoriel : elle oppose ainsi le statut socioéconomique élevé des cadres à celui des travailleurs manuels. D'émblée, on relèvera ici un point très discutable – que les chercheurs pointent d'ailleurs eux-mêmes : le statut socioéconomique est défini en termes de catégorie socioprofessionnelle et de diplôme, sans que la rémunération ne soit prise en compte. Or, le stress causé par l'insécurité financière est une réalité, et le niveau de rémunération n'est clairement pas corrélable aux critères de catégorie socio-professionnelle et de niveau de diplôme. D'abord, la latitude au sein d'une même catégorie socio-professionnelle est immense : quel est le salaire d'un chef d'entreprise par exemple ? De même, le niveau de diplôme d'un individu n'est pas superposable à sa rémunération - ou alors, il suffirait d'avoir un doctorat pour être assuré de gagner sa vie... Or, la précarité grandissante des diplômés est précisément un facteur de risques psychosociaux important, qui touche notamment à la question de la reconnaissance.

Ces biais mis à part, l'étude japonaise impressionne par le nombre de personnes interrogées : 17 390 hommes et 2393 femmes. La méthodologie est celle du questionnaire personnel ; les personnes interrogées ont eu à évaluer subjectivement les conflits (interpersonnels, inter- et intra- groupes) auxquels elles étaient confrontées sur leur lieu de travail. Le résultat est donc que les hommes de statut socioéconomique élevé sont plus sensibles aux effets négatifs des situations conflictuelles, en particulier des conflits interpersonnels et des conflits intergroupes. Les auteurs soulignent que les salariés de statut socioéconomique élevé sont souvent en position d'encadrement, de responsabilité de groupe – ce qui les fragilise d'emblée. Ainsi, ils sont souvent en position isolée, un isolement lié à la fois à leur position hiérarchique et à leur degré d'autonomie dans le travail. La complexité du réseau professionnel est également présentée comme augmentant parallèlement avec le statut socioéconomique : or, elle constitue également un facteur fragilisant pour les individus. A l'inverse, le travail de groupe dans lequel sont majoritairement engagés les salariés de statut socioéconomique moins élevé semble les protéger. En cas de conflits intergroupes par exemple, c'est en tant qu'individus que les cadres doivent défendre les groupes dont ils ont la responsabilité ; du côté des membres de ce groupe, la problématique est différente : c'est l'identité collective qui prime, et elle semble faire assez efficacement bouclier contre le stress induit par le conflit lui-même.

Par ailleurs, comment expliquer la différence de sensibilité au conflit observée entre hommes et femmes ? La grande différence dans le volume des données recueillies incite à la prudence dans l'analyse – les auteurs eux-mêmes signalent qu'il y aurait sur ce sujet à poursuivre l'étude, en la menant notamment dans d'autres pays. En effet, d'après eux, le contexte culturel est ici un élément important à prendre en compte : ils présentent comme une idéologie toujours vive au Japon celle de la répartition des tâches entre hommes et femmes – l'homme assure le revenu du foyer. Dès lors, la pression associée au travail et le sentiment de responsabilité seraient globalement plus lourde pour les hommes, d'où leur sensibilité plus grande aux effets négatifs des situations conflictuelles.

Crédit photo : mjk23

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