dimanche 11 décembre 2011

Le burnout ou épuisement professionnel (3). Les difficultés du retour au travail



Le congé maladie nécessaire au soin du burnout est habituellement long : il peut se compter en mois. Le retour au travail, outre qu’il doit se faire au bon moment, peut donc se révéler difficile : perte de son poste, méfiance des collègues et des managers… C’est toute la problématique de la reconnaissance de la souffrance psychique qui est contenue ici.



En 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé qualifiait les troubles dépressifs de « bombe économique et sociale à retardement » : la projection faite pour 2020 place la dépression au deuxième rang des causes d’invalidité, tous âges et sexes confondus – ce qu’elle est déjà au demeurant pour les 15-44 ans. Or, cette prévalence n’est malheureusement pas associée à une reconnaissance réelle, dans les organisations de travail, du sérieux de la souffrance psychique. Le facteur explicatif le plus puissant est sans doute que chacun, à tous les niveaux hiérarchiques, craint finalement pour sa propre santé : si l’autre va vraiment mal à cause de son travail, alors je risque d’aller mal moi aussi. Renvoyer le burnout à une dépression causée par des facteurs individuels, et renvoyer le salarié touché à une fragilité psychique qui lui serait propre, c’est donc aussi éviter de remettre en cause l’ensemble de l’organisation de travail.
Le retour au travail est donc un défi : un consultant canadien, notant au passage que 3,4 millions de Canadiens ont été touchés par le burnout en 2004, donne ainsi, comme de nombreux autres, de bons conseils pour une reprise sécurisée de l’activité professionnelle. Prendre le temps de se soigner, réorganiser les tâches de telle sorte que la surcharge qui a causé le trouble ne se produise plus… La stratégie comportementaliste des « 3 R » - Recognize, Reverse, Resilience : reconnaître les symptômes, les combattre, se rétablir – s’inscrit dans la même perspective. A lire ces pages finalement rassurantes et pleines de bon sens, on en oublierait presque la difficulté réelle, sur le terrain, que rencontrent bien des salariés : le portail québécois Jobboom a publié sur ce sujet, en 2006 un dossier riche en témoignages émanant aussi bien de recruteurs que de consultants et de salariés. Or, la tonalité des discours semble constante : le stigmate du burnout est difficile à effacer, et c’est la mise à distance que subissent les individus concernés, tant du côté des ressources humaines que de leurs collègues – quand ils ne perdent pas leur emploi, on les réassigne à un poste de niveau inférieur, par exemple. Une salariée explique ainsi avoir préféré démissionner pour prendre le temps de se soigner, refusant d’inscrire un congé maladie de longue durée sur son CV : un tel choix, qui suppose par ailleurs une certaine aisance financière au départ et n’est donc pas ouvert à tout un chacun, révèle par sa radicalité la peur réelle d’être marqué du sceau de la dépression.
Plusieurs raisons sous-tendent la méfiance des entreprises vis-à-vis de leurs salariés touchés par les symptômes de l’épuisement professionnel. D’abord, on l’a dit plus haut, reconnaître le burnout c’est implicitement reconnaître un dysfonctionnement de l’organisation du travail. Les conséquences d’une telle démarche peuvent évidemment être lourdes en termes de gestion – tant du point de vue financier que du point de vue humain. Ensuite, le congé maladie de longue durée entraîne une désorganisation provisoire des services : paradoxalement, le burnout de l’un peut rapidement devenir celui de l’autre, si les dossiers en attente sont simplement répartis sur les agendas de ceux qui restent… Le ressentiment vis-à-vis du salarié qui a « craqué », alors que les autres « tiennent » et pallient son absence, participe des difficultés propres au retour de congé. Ce dernier point est finalement le plus complexe, si l’on considère que le premier entre dans le champ d’action, en plein développement, du traitement des risques psychosociaux. A l’échelle des entreprises en effet, si la situation est loin d’être idyllique, il reste que la prise de conscience se généralise et que l’incitation à la remédiation est forte. La place prise par les RPS dans la presse et les discours des pouvoirs publics est telle que les chercheurs témoignent même de leur difficulté à traiter en temps réel cette demande sociale marquée par l’urgence des cas les plus dramatiques – on pense à la vague de suicides à France Télécom, par exemple. Mais ce que révèle la réflexion sur les difficultés de la reprise d’activité, c’est le décalage entre ces discours ambiants, qui vont dans le sens positif de la reconnaissance de la souffrance au travail, et la réalité de la perception négative des troubles dépressifs, a fortiori du burnout. Toujours suspectée d’être feinte ou exagérée par des individus finalement fragiles ou immatures, la souffrance psychique des salariés relève donc de la double peine si, au terme d’un processus de soin souvent long, le retour au travail est marqué par la stigmatisation et la méfiance.

Crédit photo : Garuna bor-bor

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