jeudi 15 mars 2012
Le corps stressé (2). L'effort et le réconfort
Les conséquences négatives pour le bien-être et la santé d'une récupération insuffisante sont bien connues : si, au quotidien, les temps consacrés à la détente s'amenuisent et si le travail et l'effort prennent toute la place, alors les risques cardio-vasculaires, en particulier, sont multipliés. D'une façon générale, l'accumulation de la fatigue finit par se cristalliser sous la forme de diverses affections, psychologiques et physiques. Le temps de récupération et le plaisir qui lui est associé sont donc primordiaux pour garantir le bien-être et la santé au travail.
Une étude néerlandaise se concentre justement sur le cycle effort-récupération (ER – Effort Recovery) : en quoi le temps passé au travail et le temps passé dans des activités non professionnelles influencent-t-il la récupération ?
Des mesures visant à évaluer l'état général (fatigue ou bonne forme) ont été faites sur 120 universitaires (75 hommes, 45 femmes), le soir à la sortie du travail, puis au début de la journée de travail suivante. Dans une perspective contrastive, les mêmes mesures ont été faites le soir après des activités non professionnelles. Les participants avaient, pour les deux tiers d'entre eux, un enfant à la maison, et leur moyenne d'âge était de 45 ans. L'idée du cycle effort-récupération est que plus les efforts à fournir pour une tâche sont importants, plus le temps de récupération nécessaire sera long. La difficulté est d'évaluer l'intensité des efforts fournis : ils ne sont pas entièrement liés à la tâche, puisque, pour une même tâche et selon les individus, ils peuvent varier grandement. Comment définir d'ailleurs la notion d'effort ? Cette question est justifiée par le fait que les activités sportives ont une position paradoxale : bien que demandant des efforts physiques parfois intenses, elles restent essentiellement une source de bénéfices et contribuent au bien-être, sans forcément ajouter à la fatigue dûe au travail. La notion de plaisir est ici également centrale : dans un contexte de malaise généralisé, l’activité sportive peut au contraire agir comme une mise en tension supplémentaire.
Prendre le temps de récupérer implique-t-il de se détacher complètement du travail ? Pas forcément. Comme on peut s'y attendre, les études tendent à montrer que les personnes qui sont envahies par des pensées obsédantes liées au travail ont du mal à récupérer de façon satisfaisante, et accumulent stress et fatigue. En revanche, les personnes qui ont des pensées positives quant à leur travail sur leur temps de loisir récupèrent de façon très efficace. En d'autres termes, plus on est satisfait de son activité professionnelle plus on apprécie la détente qui lui succède, et plus cette dernière permet un repos réparateur. Il y a un donc un cercle vertueux qui lie bien-être professionnel et bien-être personnel.
Les émotions positives et le plaisir liés à une activité permettent de contrer les effets négatifs du stress, sur le plan physiologique autant que sur le plan psychologique. Un résultat intéressant de l'étude est que ce qui met en danger l'efficacité de la récupération, et crée une fatigue difficile à traiter, est non l'intensité de l'effort fourni au travail, mais l'absence de plaisir. Les employés motivés, prenant plaisir à leur travail, récupèrent mieux – et ce y compris si les tâches qu'ils accomplissent requièrent un effort soutenu et sont susceptibles de déclencher une fatigue importante. En revanche, lorsqu’un certain seuil de fatigue est atteint, prendre quelques jours de congé ne suffit pas : il est important de ne pas laisser s’installer l’épuisement et l’insatisfaction au travail, puisqu’ils sont les symptômes d’un malaise plus profond, sur lequel l’individu ne peut agir seul, et risquant de le conduire au burnout.
Crédit photo : Fikra
Le corps stressé (1). Le stress, ça n’est pas seulement « dans la tête »
L'intérêt économique de la réduction du stress au travail n'est plus à prouver : les chiffres diffusés en 2007 sont éloquents. Les frais annuels dûs à l'absentéisme, à la réduction de la productivité et aux soins médicaux sont ainsi actuellement estimés à 300 milliards de dollars aux Etats-Unis, à 65 milliards au Royaume-Uni, et à 232 milliards au Japon. Des psychologues californiens ont donc passé en revue 79 études consacrées aux effets physiologiques du stress au travail. Contraintes organisationnelles, conflits interpersonnels, ambiguïté des tâches et des rôles, grand volume de travail, difficultés liées aux horaires, faible degré d'autonomie : voilà la liste des suspects les plus recherchés. Or, parmi eux, deux semblent particulièrement dangereux quant à leurs conséquences physiologiques : il s'agit des contraintes organisationnelles et des conflits interpersonnels. Ils seraient en effet à la source de symptômes physiques bien spécifiques : mal de dos, maux de tête, fatigue visuelle, troubles du sommeil, vertiges, fatigue, troubles de l'appétit et du système gastrointestinal.
Le mal de dos augmente avec le stress, sans doute parce que le seuil de tolérance à la douleur se trouve abaissé – ce qui serait une réponse du système immunitaire et une conséquence physiologique de la modification des niveaux de cortisol et de prolactine, laquelle constitue une réponse attendue de l'organisme en situation de stress. Des études menées spécifiquement sur l'arthrite rapportent ainsi que, dans les semaines qui suivent l'exposition à une source de stress entraînant une humeur négative, les douleurs ressenties par les patients sont plus vives qu'à l'habitude.
Les maux de tête répondent au même cercle vicieux, et procèdent d'une hypersensibilité à la douleur induite par la situation de stress. Le problème majeur est qu'ils entraînent eux-mêmes le plus souvent, par la tension nerveuse qu'ils supposent, une tension musculaire accrue – et donc, par exemple, un mal de dos qui vient malencontreusement compléter le tableau.
La fatigue visuelle – qui va de la sensation de picotement à la vision double, en passant par la sensation de lourdeur dans les yeux – est directement aggravée par le travail sur écran. Néanmoins, elle procède des mêmes mécanismes physiologiques ci-dessus exposés, à savoir une augmentation de l'état inflammatoire et un abaissement du seuil la tolérance à la douleur sous l'effet du stress.
Les troubles du sommeil sont, dans leur majorité, liés au stress professionnel – ce qui est un résultat inquiétant : le travail est donc la première cause d'insomnie.
Les vertiges liés au stress seraient dûs à une augmentation subite du rythme de la respiration – et à l'hyperventilation qui peut en résulter. Pour le dire autrement, le stress coupe littéralement le souffle, et on a la tête qui tourne...
La fatigue est évidemment le premier symptôme physique évoqué en cas de mal-être au travail, et elle devient rapidement chronique, toile de fond des autres symptômes ici évoqués. Le dérèglement de l'appétit, dans un sens ou dans l'autre, est également fréquent, et d'une façon générale les problèmes gastro-intestinaux.
En clair, les études statistiques menées jusqu'à présent montrent sans ambiguïté les conséquences physiques du stress au travail. Les troubles digestifs et les troubles du sommeil sont les plus souvent mentionnés par les salariés interrogés : les auteurs de la synthèse soulignent en effet la survenue quasi- immédiate de ces troubles en situation de stress, comme première réponse de l'organisme. Or, ce qu'il importe de noter est que ces troubles physiques jouent directement sur le bien-être moral et psychologique : le sentiment de faiblesse ou de malaise qu'ils entraînent ne peut qu'aggraver les conséquences psychologiques du stress, lesquelles trouvent également dans le corps un moyen d'expression direct.
Crédit photo : morpholux
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