lundi 7 mars 2011

Quand le beau fait du bien


Une étude suédoise intitulée « Health Effects on Leaders and Co-Workers of an Art-Based Leadership Development Program » [Effets sur la santé de dirigeants et de leurs collaborateurs d'une formation au management à contenu artistique] vient d'être publiée dans la revue Psychotherapy & Psychosomatics. Visant à l'évaluation des formations au management du point de vue de la prévention des risques psychosociaux, elle montre l'efficacité remarquable d'une formation à contenu essentiellement artistique : alors même qu'ils ont reçu pendant près de deux ans une formation en apparence éloignée de leurs préoccupations premières, les managers en ayant bénéficié sont moins stressés que ceux du groupe témoin ayant reçu une formation classique. Détail non négligeable, ces effets positifs sur le stress sont également observés chez les subordonnés des managers, lesquels n'ont pourtant pas suivi la formation en question.


Une des solutions les plus souvent avancées dans le traitement et la prévention des risques psychosociaux est la formation des managers. Or, comme le font remarquer les auteurs d'une étude suédoise récemment parue dans la revue Psychotherapy & Psychosomatics, l'évaluation de l'efficacité des formations au management n'est que très rarement faite, alors même que les investissements financiers qu'elles supposent sont souvent importants. L'idée défendue par les auteurs est que la complexité des questions auxquelles ont à faire face les managers impose que les formations qu'ils reçoivent soient à la mesure de cette complexité : « [l]es formations pour les managers [leadership programs] devraient mettre l'accent sur l'identité, les approches plurielles, la créativité, les émotions et la spiritualité. » Or, les formations conventionnelles « se concentrent sur les capacités cognitives et analytiques et des savoir faire standardisés. L'insistance sur une connaissance instrumentale et des méthodes prêtes à l'emploi peut donner aux managers une fausse confiance en eux-mêmes et le sentiment dangereux d'être capable de manipuler et de contrôler la réalité et les êtres humains avec des procédures standards. »

Ainsi, l'étude prend pour objet le stress des managers et de leurs subordonnés à la suite de deux programmes de formation au management : une formation conventionnelle, plutôt orientée vers les techniques de communication et de gestion de groupe, et une formation appelée Schibbolet, qui a été développée spécialement pour cette étude expérimentale, et qui repose sur un contenu artistique et philosophique. L’enjeu est donc finalement de comparer l’efficacité de formation d’une approche directe – formation centrée sur le management comme pratique professionnelle spécifique – et d’une approche indirecte – formation centrée sur une réflexion artistique, éthique et morale plus générale. Chacune de ces deux formations a été menée sur deux ans, avec une mesure biologique des niveaux de stress (taux de cortisol et de DHEA) et une évaluation psychologique par questionnaire à 12 mois et 18 mois, pour les managers comme pour leurs subordonnés. Ces derniers n’ont pas suivi les formations, mais l’hypothèse de recherche est que l’évolution du stress du manager se reflète chez ses collaborateurs.

Les participants à la formation Schibbolet n'ont pas été informés au départ du programme de la formation, ils l'ont découvert au fur et à mesure (alors que les participants à la formation conventionnelle se sont vus remettre dès le début un calendrier détaillé, censé à la fois les rassurer et les impliquer). Les sessions s'ouvrent sur un temps d'écriture pour lequel la consigne est simplement « Ecrivez ce qui vous passe par la tête ». Suit ensuite une performance artistique : des acteurs viennent lire, en présence des auteurs, des textes littéraires qui ont été associés à des montages sonores déroutants. A l'issue de ce spectacle, les managers sont à nouveau invités à écrire, puis à participer à des groupes de réflexion et de discussion du spectacle, et donc à traiter de questions morales et éthiques parfois très dures et débordant très largement le cadre de l'entreprise : l'amour, le pouvoir, les génocides, le viol... Un dernier moment d'écriture clôture la session. D'après les auteurs, « [l]a forme du spectacle, fragmenté, sans continuité ni contexte logique, est destinée à provoquer une tension et une surprise fortes et à mobiliser différents types de perception, à interpréter et comprendre la façon dont le contexte est construit, et à rassembler les différents fragments en un tout qui fasse sens (pensée par associations, analogies, et créative/gestalt). » Le résultat semble être que, bien que confrontés à cette complexité déroutante et à cette gravité, les managers se sont montrés moins stressés au cours et à l’issue de la formation – dont les effets s’inscrivent donc sur le long terme : leurs subordonnés ont bénéficié des mêmes effets positifs, les mesures biologiques tendant même à montrer que les baisses de forme physique et psychique liées à la période hivernale avaient été limitées. Alors que le groupe des managers soumis à la formation conventionnelle a dans l’ensemble connu une augmentation du stress – et leurs collaborateurs également -, ceux du groupe ayant suivi la formation fondée sur l’approche artistique a vu l’ensemble des éléments négatifs suivants décroître : l’épuisement émotionnel, les troubles du sommeil, les symptômes dépressifs, et le recours au « covert coping », c’est-à-dire à la dissimulation de son mal-être aux collaborateurs. Ce dernier point s’explique, selon les auteurs, par une plus grande ouverture d’esprit acquise par le contact avec la complexité du discours artistique : être capable de partager avec les autres des sentiments négatifs (dépréciation de soi, manque de reconnaissance) pour pouvoir en discuter de façon constructive est un art qui visiblement s’apprend…. L’étude conclut : « Les dirigeants les plus efficaces sont ceux qui sont capables de repérer les obstacles et difficultés qu’eux-mêmes et leurs subordonnés rencontrent au travail. […] la formation Schibbolet a augmenté la sensibilité des dirigeants aux situations humaines complexes (conflits, injustices) ce qui a influencé ensuite leur capacité à établir des jugements et à intervenir lorsque quelque chose se passait mal ou lorsque quelqu’un était humilié […] [Or,] les dirigeants faisant preuve d’éthique encouragent les autres à en faire de même. Cette réciprocité a donc amélioré l’ensemble du climat psychosocial […] : moins de bureaucratie, plus de tolérance, d’empathie, et plus d’expression d’opinions dissidentes et de questions éthiques. »

En d’autres termes, la solution aux conflits n’est pas tant de chercher à les fuir ou à les faire taire, mais plutôt de trouver des moyens novateurs de les prendre en compte et de les résoudre. Ouvrir la discussion à des questions dépassant le cadre strictement professionnel permet précisément de remettre les conflits en perspective : si la question humaine ne se laisse pas réduire à quelques règles de gestion, alors l’art de diriger peut apprendre beaucoup de l’art en général – le beau fait du bien…

Crédit photo : TheNose

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