samedi 23 avril 2011

Revue de presse - Veille documentaire


Le travail, pas si bon pour la santé...

Un dossier de Liaisons sociales (n° 121, avril 2011) consacré à la santé des salariés fournit des chiffres impressionnants : les maladies professionnelles ont plus que quintuplé sur la dernière décennie, "approchant la barre des 45 500 cas indemnisés". Les troubles musculo-squelettiques représentent plus de 80% des cas, et la mortalité liée aux risques tels que l'amiante est en augmentation constante. Néanmoins, les risques psychosociaux inquiètent aussi largement : s'ils n'entrent pas toujours dans le décompte des indemnisations sur le long terme, on estime qu'ils constituent la moitié des arrêts courts de travail (selon l'évaluation d'Henri Forest, secrétaire confédéral CFDT, qui s'appuie sur les statistiques des entreprises gérant leur propre système d'assurance maladie). Sans entrer dans le détail des origines des risques psychosociaux par ailleurs, le dossier désigne de façon intéressante le smartphone comme symbole de l'émergence d'un stress aussi nouveau qu'envahissant : "Emblème du cadre autonome, le smartphone peut l'être du stress professionnel, lorsque la pression temporelle se conjugue avec une charge élevée de travail, peu d'autonomie dans l'ordre des tâches à réaliser, des difficultés à concilier vie familiale et salariale." Le coût social du stress, chiffré dans une étude de l'INRS, serait ainsi de 1,8 à 2,9 milliards d'euros pour la seule année 2007... La part de l'absentéisme y est estimée à 47%, quand les soins médicaux proprement dits ne comptent que pour 8%. La cessation d'activité est estimée à 33%, et les décès comptent pour 12% du coût social. Des chiffres à mettre en regard avec cette étude menée par des économistes anglais et américains, et selon laquelle les salariés aux revenus les moins élevés ont tendance à prendre des arrêts maladie plus courts, pour ne pas risquer de perte financière. Conséquence attendue : une récupération moins bonne que pour les salariés les mieux payés, et une productivité diminuée d'autant sur le lieu de travail rejoint trop rapidement...

Risques psychosociaux : les indicateurs du Ministère du Travail

Le 11 avril dernier, Xavier Bertrand s'est vu remettre le rapport du Collège d'expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail. Faisant suite au rapport Nasse-Légeron de 2008, et dirigé par le sociologue Michel Gollac (auteur, en 2003, avec Christian Baudelot, du livre Travailler pour être heureux ?), ce texte a été conçu par des chercheurs de diverses disciplines (économie, sociologie, médecine, ergonomie notamment). Les indicateurs proposés sont finalement au nombre de six :

1. L’intensité du travail et le temps de travail
C'est la question organisationnelle qui se trouve ici au centre de la réflexion : privilégiant toujours la richesse des observations disponibles dans la littérature scientifique, le rapport pointe à juste titre que, prises isolément, les notions de rapidité, pour le rythme de travail, ou de complexité, pour les charges de travail associées, ne sont pas forcément négatives en soi. En revanche, l'absence de rétribution symbolique ou de marge d'action individuelle face aux modifications du temps de travail ou de complexité de la tâche deviennent rapidement problématiques : objectifs irréalistes, polyvalence forcée se trouvent ainsi montrés du doigt. La difficulté de conciliation des temps personnels et professionnels est également abordée.

2. Les exigences émotionnelles
Le partage entre personnel et professionnel concerne aussi directement cet indicateur. En effet,"[l]e travail émotionnel désigne des formes de mobilisation de la subjectivité qui sont spécifiques aux métiers de services. Il concerne de ce fait un large spectre d'activités (commerce, tourisme, accueil dans les services publics, socioéducatif, enseignement, santé, etc.) et, en raison des évolutions récentes des organisations, il ne se cantonne pas aux activités économiques classées comme services." Or, "[l]’inauthenticité des émotions mises en scène dans le travail peut fausser l’expression des sentiments dans la vie privée. Si les émotions éprouvées dans la vie professionnelle sont authentiques, leur cumul avec les émotions de la vie privée peut causer un épuisement (burn out)". Les professions en contact avec la souffrance (domaine médical, psychosocial) sont particulièrement sensibles de ce point de vue.

3. Le manque d’autonomie
La formulation de cette indicateur est claire : une certaine autonomie au travail (l'autonomie dite "procédurale", "c’est-à-dire le choix de la façon de travailler, [...] [c'est-à-dire] le niveau le plus élémentaire de l’autonomie du travailleur") est indispensable - dans une certaine mesure, attendu qu'une "trop grande latitude décisionnelle" peut, au contraire, avoir des "effets délétères". Le rapport indique qu'on a plutôt affaire à une restriction des marges de manoeuvre des travailleurs. Elle est appuyée par un retour de formes variées de contrôle, à rebours des réformes managériales des années 1980-1990. Le "plaisir au travail" apparaît ici comme menacé.

4. La mauvaise qualité des rapports sociaux au travail
Très attentif aux représentations des acteurs observés, le texte insiste sur trois notions corrélées à l'étude des rapports sociaux au travail : justice, reconnaissance, intégration sont ainsi vraisemblablement des valeurs objectivables et mesurables, mais qui correspondent avant tout à des sentiments éprouvés par les salariés. Les relations avec les collègues et la question de l'intégration dans un collectif, tout autant que celle de la justice sont de ce point de vue, précise le rapport, particulièrement complexes à traiter. C'est une des sections du texte pour laquelle la rédaction est la plus prudente, tant l'enchevêtrement des facteurs (organisationnels, individuels) est grand. La tension entre "justice-égalité" (le travailleur est reconnu par ses pairs) et "justice-autonomie" (le travailleur peut déployer son originalité) est ainsi évoquée. Les styles de leadership sont également un point important de la réflexion sur ces thèmes, le rapport à la hiérarchie conditionnant souvent de fait le rapport à la tâche.

5. La souffrance éthique
La mesure de la souffrance au travail se fait ici par le biais de la prise en compte des conflits de valeur : la notion de qualité empêchée, notamment traitée par Yves Clot, est ici centrale, et associée au sentiment de produire du travail inutile.

6. L’insécurité de la situation de travail
"L’insécurité de la situation de travail comprend l’insécurité socio-économique et le risque de changement non maîtrisé de la tâche et des conditions de travail." Le couplage de des deux plans, le socio-économique et l'organisationnel, signale assez, comme du reste pour les indicateurs précédents, la difficulté de traitement de la notion proposée. Multifactorielle, l'insécurité est un élément majeur dans le domaine des risques psychosociaux : elle s'incarne notamment dans la précarité des contrats de travail, mais concerne également les salaires et plus largement les carrières. De ce point de vue, l'absence de soutenabilité ("Un travail est dit soutenable lorsqu’il est possible de continuer à le faire tout au long de sa carrière professionnelle dans les mêmes conditions, sans aménagement d’horaires ou de poste") est pointée comme source de souffrance.

Crédit photo : ValleeC

1 commentaire:

  1. Juste pour signaler ce qui se passe en cliquamt sur le flux RSSS:
    http://blog.alterhego.fr/feeds/posts/default

    sinon bravo , bien interessant!

    kopp@eurotriade.com

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