lundi 11 avril 2011
Time is money, une évidence à rediscuter
Faudrait-il accepter de prendre du temps, voire d'en perdre, pour être finalement plus productif ? Cette réinterprétation paradoxale de l'adage Time is money mérite attention : plusieurs études, consacrées aux pauses café, cigarettes et autres Facebook, en chantent explicitement les louanges...
Les pauses café et cigarette sont-elles une menace pour la productivité ? Leur temps cumulé sur une vie professionnelle a été évalué à 188 jours : calculer la perte pour l'entreprise n'aurait pas forcément grand sens, dans la mesure où ces moments de distraction,facilement collectifs, auraient des effets bénéfiques importants sur l'ambiance du groupe et la créativité – puisqu'ils permettent de rencontrer éventuellement les salariés d'autres équipes ou services. Ainsi, selon une étude dont il faut tout de même préciser qu'elle a été réalisée pour le compte de Nespresso, la pause café est « aussi un outil intéressant pour renforcer la cohésion au sein d'une équipe (d'après 75% des sondés) et même le meilleur moyen d'apaiser les tensions (cité par 65% des personnes). Les responsables des ressources humaines eux-mêmes reconnaissent (à 79%) que cette pause permet de créer un moment convivial pour limiter les tensions au sein d'une équipe. » Etonnamment, alors que ces points font consensus, (« ils sont 81% à estimer que ce moment est indispensable pour garder l'esprit clair et repartir plus efficacement à son travail »), « les responsables des ressources humaines sont nettement moins convaincus que les salariés du côté incontournable de l'expresso du matin comme outil de gestion des ressources humaines. Ainsi, seuls 11% des managers considèrent que le moment café est indispensable pour faire passer des messages, alors que les salariés sont trois fois plus nombreux à être tout à fait d'accord avec cette notion. »
Une discordance se fait donc jour, entre le constat des potentiels bénéfices des moments récréatifs et le soupçon d'inutilité qui pèse encore sur eux. Un questionnement reste donc à mener autour des nouvelles formes d'organisation du temps au travail.
D'ailleurs, à l’heure où les créateurs de gadgets rivalisent d’inventivité pour aider les salariés à faire disparaître d’un clic la page web sur laquelle ils ne sont pas censés naviguer aux heures de bureau, une voix dissidente s’élève : Brent Coker, chercheur au département de Management et de Marketing de l’Université de Melbourne. Et si, loin d’être une distraction malsaine, le surf à visée personnelle sur le Net était au contraire bénéfique à la productivité ? Le chercheur défend le droit à une discrète et courte pause personnelle (unobtrusive break) – un moment indispensable, selon lui, pour rythmer l'enchaînement des tâches et restaurer les capacités de concentration. Le gain de productivité serait ainsi de 9%, pour les salariés consacrant moins de 20% de leur temps au WILB (Workplace Internet Leisure Browsing : surf récréatif sur le lieu de travail). Coker prend l'exemple de l'écriture d'un rapport : cette tâche est fractionnable en plusieurs tâches (insertion de graphes, écriture d'une partie etc.) à la fin desquelles il est important de faire une pause, sinon la concentration baisse irrémédiablement. Les seules personnes pour lesquelles ce schéma d'alternance fraction de tâche / pause ne fonctionnerait pas seraient les accros du Net (14% des salariés en Australie précise l'étude), ceux pour lesquels la consultation de leur compte Facebook ou de tout autre page personnelle ne relève en fait pas du plaisir de la récompense (reward) mais plutôt du besoin irrépressible (urge). Dès lors, leur rapport au temps est différent : le rythme de leur travail se trouve désorganisé par les pauses plutôt que soutenu par elles. La recommandation finale de l'étude est à l'attention des entreprises : les dépenses en logiciels de filtrage, souvent lourdes, seraient en fait peu utiles. Cet avis vient directement contredire les précédentes études sur la navigation à des fins privées au bureau, plutôt catastrophistes – et bien entendu menées par des firmes spécialisées dans les logiciels de filtrage... Néanmoins, tout le monde s'accorde sur le fait qu'il reste toujours moins coûteux en temps pour une entreprise de laisser un salarié consulter le site web de sa banque plutôt que d'avoir à le laisser partir une demi-heure pour qu'il s'y rende physiquement. Finalement, c'est au bon sens qu'appelle l'étude australienne : s'il est profitable pour tous que les salariés s'accordent quelques instants pour traiter leurs affaires personnelles et reprendre ensuite avec d'autant plus d'efficacité leurs tâches professionnelles, les formes d'abus ou d'addiction sont évidemment un problème – mais qui ne concerne vraisemblablement pas la majorité. Les nouvelles technologies posent de toute façon un problème de fond, qui est celui de l'interpénétration des univers professionnels et personnels : en d'autres termes, de même qu'elles ont progressivement imposé le débordement du professionnel sur le personnel (la réponse aux courriels ne se fait pas forcément aux heures de bureau) n'est-il pas finalement normal d'assister, en retour, à la construction d'un espace personnel au bureau ?
Crédit photo : Sam Fox Photography
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