mercredi 30 mars 2011
Revue de presse - Veille documentaire
Drogues et travail : addiction et auto-médication
Entreprises et Carrières (n° 1041) consacre un long dossier à l’usage de drogues. La prise de substances modifiant l’état de conscience comporte évidemment des risques en milieu professionnel, par exemple sur les chantiers : Bouygues Construction a ainsi mis en place une politique de tests (notamment salivaires, pour repérer la consommation de cannabis). En cas de contrôle positif, le salarié est convoqué devant les RH puis la médecine du travail – on comprend que celle-ci ait au départ émis quelque réserve, l’injonction étant, dans le domaine du soin, plus que délicate à manier, et facilement contreproductive. D’ailleurs, le dépistage pratiqué par le médecin du travail reste évidemment soumis au secret médical. Le dispositif mis en place par Bouygues inclut la mobilisation d’une cinquantaine de salariés des RH ou des services de sécurité santé, lesquels se sont de plus portés volontaires pour être « relais addiction ». Après avoir reçu une formation spécifique sur ce thème, ils orientent les salariés qui en font la demande vers les réseaux de soin et d’accompagnement appropriés. L’évaluation de l’efficacité du dispositif est, comme le note le magazine, difficile à mener. Depuis septembre 2009, 8000 salariés ont été informés du nouveau dispositif (sur un total de 25 000 pour Bouygues Construction) ; 50 ont été retirés de chantiers suite à des tests positifs (alcool ou cannabis) et 30 ont demandé à rencontrer un « relais addiction ». Chez Vinci Construction, à la suite de tests anonymes, c’est 20% des « 1500 collaborateurs contrôlés qui se sont révélés sous l’empire d’un produit susceptible de modifier leur comportement ». Une campagne de sensibilisation, faisant suite à celle lancée au sujet de l’alcool début 2010, est donc en cours : elle doit associer prévention et contrôle.
Au-delà du symptôme individuel que constitue l’usage de drogue, reste le questionnement autour du rôle de l’environnement de travail : « l’entreprise a un peu trop tendance à considérer que les addictions viennent uniquement de l’extérieur, or certaines organisations et conditions de travail, comme les horaires décalés ou la surcharge de travail, peuvent favoriser la consommation de produits psychotropes », selon Geneviève Abadia, responsable du département études et assistance médicale de l’INRS. En ce cas, le salarié a donc recours à une forme de dopage qui le fait « tenir » : dès lors, les politiques de prévention doivent sans doute inclure, outre la sensibilisation individuelle des salariés, une réflexion générale sur les points de l’organisation du travail susceptibles d’augmenter les risques de stress et d’automédication en conséquence.
La sieste, un remède simple contre le stress
Sur FocusRH, on traite sous un autre angle l’idée que l’entreprise manifeste de plus en plus son intérêt à « prendre grand soin de son capital humain » : un cabinet préconise ainsi la sieste sur le lieu de travail, une mesure qui réduirait le stress d’une part, mais également les accidents dûs à la baisse de vigilance à certains moments critiques de la journée. Stress diminué, créativité augmentée, la sieste et l’aménagement du temps de travail qu’elle suppose mènerait à un véritable gain de productivité et, de proche en proche, à une amélioration du climat social global – un constat qui rendrait, selon les auteurs, les directions de plus en plus réceptives à ce type de solutions simples.
Une enquête de l'ANACT sur l'absentéisme
Une enquête récemment menée auprès de 414 entreprises de secteurs et de tailles diverses (de moins de 50 salariés à plus de 1.000 salariés) par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) donne les résultats suivants : 20% seulement des entreprises ont un plan d’action spécifique en ce qui concerne le stress et la prévention des risques psychosociaux. Comparés à ceux obtenus dans d’autres pays européens, ces résultats confirment l’intérêt des entreprises françaises pour le sujet (un intérêt mesuré notamment au fort taux de retour des questionnaires) mais également leurs difficultés, à l’heure actuelle, à imaginer et mettre en œuvre des dispositifs concrets et opérationnels.
Crédit photo : Mypouss
mercredi 23 mars 2011
Le stress cognitif, une conséquence du "boundary less work"
La notion de stress cognitif apparaît désormais dans les études autour des risques psychosociaux. Si des enquêtes françaises le décrivaient récemment comme un phénomène individuel sur lequel l'organisation du travail aurait finalement peu de prise, une enquête danoise propose au contraire de le considérer comme un type de stress étroitement corrélé à certaines professions, à savoir celles qui sont caractérisées par l'absence de limites claires à la réalisation de la tâche (tant du point de vue de sa complétude que de sa qualité) (boundary less work). Les individus pour lesquels l'estime de soi serait conditionnée par l'idée de performance seraient particulièrement fragilisés par ces environnements professionnels : travail social, management, recherche, enseignement, médecine etc.
Vous êtes stressés, certes, mais comment ? Selon le site les-rh, qui diffuse les résultats d’enquêtes menées par l’Institut de Médecine Environnementale (IME) et l’Observatoire de la Vie au Travail (OVAT), une distinction est à faire entre stress cognitif et stress pathologique : « Dans le stress cognitif, la dimension individuelle l’emporte. Le manager ne peut rien y faire. Par contre, le stress pathologique est fortement relié à l’organisation. […] Lorsque le stress est relié à la dimension individuelle, le sujet manque d’affirmation, a une motivation liée aux résultats, un certain état d’esprit. Il faut faire du bon management des différents profils afin de protéger les individus du stress. »
Un tel diagnostic pose question : s’il s’avère que « le manager ne peut rien y faire », le salarié est-il condamné à trouver en lui-même les ressources pour une amélioration de son bien-être au travail ? Porte-toi mieux tout seul ou passe ton chemin - voilà une injonction bien malaisée à énoncer. Sans doute faut-il donc rediscuter de ce que recouvre la dénomination « stress cognitif » : plutôt que de réduire le cognitif à une dimension individuelle (ce qui le renvoie finalement au psychologique), il est possible de l'envisager sous l'angle de ses symptômes spécifiques (troubles de la concentration et de la mémoire principalement). Dans cette perspective, on peut envisager son traitement dans une perspective collective.
Une étude parue dans le Scandinavian Journal of Health, intitulée “The effect of the work environment and performance-based self-esteem on cognitive stress symptoms among Danish knowledge workers” [Influence de l'environnement de travail et d'une estime de soi conditionnée par la performance sur les symptômes du stress cognitif chez des "travailleurs de la connaissance" Danois] distingue différents types de stress non fonction de leur origine supposée, mais en fonction du symptôme seul : physique (par exemple, migraines) ; comportemental (par exemple, tendance à l’isolement) ; émotionnel (par exemple, irritabilité) ; cognitif (par exemple, problèmes de mémoire). Dans ce cadre, les manifestations du stress cognitif sont analysées chez les « travailleurs de la connaissance » (knowledge workers) que sont les médecins, ingénieurs, journalistes, chercheurs, dirigeants, travailleurs sociaux, enseignants, bibliothécaires… D’emblée, on pourra reprocher aux auteurs de réduire la cognition à l’intellect, quand il est évident que toute tâche professsionnelle, y compris la plus répétitive et la plus manuelle, implique forcément une dimension cognitive (mémorisation du geste, par exemple). Les auteurs de l’étude scandinave expliquent ainsi : « Nous avons présupposé que les symptômes cognitifs (problèmes de concentration, de clarté de la pensée, de prise de décision, de mémoire) seraient particulièrement saillants chez les employés qualifiés assumant des tâches complexes et requérant de hautes performances cognitives. » En d’autres termes, l’hypothèse de recherche qui sous-tend cette réduction est que les effets du stress cognitif seront plus importants chez ceux qui ont une activité professionnelle pour laquelle les tâches à accomplir n’ont pas de limites clairement établies (boundaryless work) : à quel moment cesse-t-on d’annoter la copie qu’on corrige ? quand considère-t-on qu’on a assez parlé à son patient ? comment décide-t-on que le processus d’écriture d’un article est bouclé ? qu’est-ce que maîtriser un dossier en vue d’une présentation ? Dans tous ces cas, les travailleurs sont renvoyés à leur propre capacité à réguler leur temps de travail (self-regulation of time) et à évaluer tant la complétude de leur tâche (la task completion ambiguity est l’incertitude d’avoir terminé) que la qualité de sa réalisation (task quality ambiguity).
L’intérêt de cette étude est qu’elle traite de front les incertitudes liées aux tâches professionnelles « sans limites clairement établies », d’une part aux incertitudes que produit l’environnement de travail (lack of predictability renvoie au manque d’information dont peut souffrir le travailleur quant aux décisions prises par sa direction au sujet de l’évolution des conditions de travail ou des changements dans l’entreprise) et d’autre part aux incertitudes propres à l’individu. C’est sur ce troisième point que l’on retrouve la dimension individuelle associée dans les enquêtes françaises au stress « cognitif ». Pour les chercheurs danois, il s’agit de pointer le risque accru de stress voire de burnout pour les individus ayant une estime de soi conditionnée par la performance (performance-based self-esteem). Ainsi, lorsque toutes ces incertitudes se trouvent conjointes pour un individu – ai-je vraiment fini mon travail ? l’ai-je bien accompli ? mes tâches futures seront-elles les mêmes ? suis-je satisfait de moi-même ? – on est dans une situation critique. Dès lors, les symptômes du stress cognitif sont, du point de vue de leur intensité, étroitement corrélés au volume des tâches demandées et au degré de clarification dans la distribution des rôles au sein de l’organisation du travail, mais également au type de reconnaissance manifestée, et à l’information prodiguée quant à l’évolution et à la planification des projets. Les individus les plus exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes (pour des raisons en effet strictement individuelles) sont les premières victimes du stress dans ces environnements incertains. L’étude souligne donc l’interdépendance des trois niveaux que sont la définition de la tâche à accomplir, l’organisation collective du travail, et le ressenti de l’individu – et, de ce point de vue, ne conclut pas sur une incapacité du manager à soulager le stress cognitif de ses employés, bien au contraire. Le traitement du facteur organisationnel reste donc, dans cette approche, central dans la prise en charge des risques psychosociaux, au détriment d’une approche centrée sur l’individu qui renverrait chacun à sa propre responsabilité et à ses difficultés psychologiques. Après tout, les personnalités pour lesquelles l’estime de soi est fondée sur la performance, pour être plus fragiles, n’en restent pas moins des atouts importants dans une organisation de travail - laquelle a sans doute tout intérêt à les préserver.
Crédit photo : gadl
mercredi 16 mars 2011
Revue de presse - Veille de documentaire
Performance et reconnaissance
Un problème complexe en ressources humaines : celui des indicateurs de la performance au travail – auxquels se retrouve immanquablement corrélée la question de la reconnaissance. Une enquête dont rend compte un long article publié par Focus RH indique ainsi que 89% des salariés associent un « regain de stress » à la mesure de la performance telle qu’elle se pratique actuellement. Le reproche majeur fait aux directions est l’inféodation aux règles de performance financière dictées par les actionnaires. Non pas que les finances soient repoussées comme un non sujet - au contraire, la question de la rémunération comme symbole de la reconnaissance apparaît comme centrale : « « Les salariés s’estiment unanimement performants, mais ils regrettent que la performance ne tienne pas suffisamment compte des efforts individuels et se concentre sur des indicateurs globaux […] La grande majorité des salariés souhaite être davantage évaluée sur son action et son implication individuelles, qui pourrait plus fortement conditionner la rémunération. » Un tel résultat mérite néanmoins d’être discuté : à l’inverse, l’abandon de l’évaluation collective au profit de l’évaluation individuelle pourrait tout aussi bien devenir un facteur de désagrégation des équipes et de construction faussée de la reconnaissance (dans la mesure où les résultats ne sont jamais le fait d’un seul individu) – en d’autres termes, un puissant facteur de stress au travail….
Un article récemment paru aux Presses de Sciences Po fait d’ailleurs un rapide point historique sur ces pratiques d’évaluation individuelle, appliquées aux non cadres depuis les années 70 seulement, et justifiées alors par une perspective d’empowerment (un terme qu’on peut partiellement traduire ici comme responsabilisation) de l’ensemble des acteurs de l’entreprise. L’auteure, consultante-formateure, analyse en particulier le positionnement complexe de l’évaluateur : « C’est dans l’articulation entre l’emploi, le contenu du travail et la formation qu’est logée l’évaluation individuelle. Or cette articulation est pour Claude Dubar (1991) la composante principale de la construction des identités professionnelles. […] il n’est pas facile pour les responsables hiérarchiques de conjuguer les objectifs affichés de gestion des ressources humaines (avec leurs limites et suscitant des attentes fortes de la part des salariés) avec ceux découlant de la construction identitaire. Celle-ci demande un engagement personnel, voire affectif ou psychologique, difficile à apporter dans la situation de l’entretien d’évaluation. De plus, placée au centre de l’articulation entre des instruments de gestion ambivalents et le traitement différencié des parcours professionnels, l’évaluation individuelle positionne l’évaluateur au coeur des processus de pouvoir au sein de l’entreprise, en mettant à l’épreuve sa capacité à produire des régulations ayant du sens pour les personnes. »
Management équitable
Produire des critiques constructives qui fassent sens : c’est là un autre problème éthique, selon Courrier Cadres, attendu qu’il s’agirait pour les managers d’être, en période de crise, « sévères mais justes ». La fiche conseil qui leur est ici donnée articule également, d’un point de vue plus pragmatique évidemment, la question des évaluations individuelle et collective : il est notamment recommandé de « prépare[r] toutes [les] feuilles d’objectifs individuels en même temps pour des raisons de cohérence et d’efficacité » - ce qu’on peut entendre, c’est qu’il ne faut pas perdre de vue la remise en contexte collectif des performances individuelles, sous peine de favoriser certains plutôt que d’autres. Sont également données des recettes qui laissent sa place à un arbitraire censé compenser la subjectivité de l’évaluateur : « procédez à vos entretiens de manière groupée par ordre alphabétique », dit-on ainsi sur cette page….
Formation individuelle et politiques d’entreprise
Toujours du côté de la performance, la question de la formation individuelle justement : pour Josiane Vero (chargée d’études au CEREQ), qui accorde un entretien à Liaisons Sociales (n° 120), seule la politique globale de l’entreprise permet aux salariés d’une part d’avoir envie de se former, d’autre part d’accéder à une (in)formation qui leur soit adaptée. « La tâche est vaste », prévient-elle, dans la mesure où encore trop d’entreprises « privilégient le développement des compétences au service de l’entreprise avec peu ou pas d’espace pour le dialogue ». Ce sont donc des « contraintes structurelles » dont la prise en compte doit venir nuancer les approches uniquement centrées sur la responsabilité individuelle des salariés quant à leur formation.
Crédit photo : Pernmith
lundi 7 mars 2011
Quand le beau fait du bien
Une étude suédoise intitulée « Health Effects on Leaders and Co-Workers of an Art-Based Leadership Development Program » [Effets sur la santé de dirigeants et de leurs collaborateurs d'une formation au management à contenu artistique] vient d'être publiée dans la revue Psychotherapy & Psychosomatics. Visant à l'évaluation des formations au management du point de vue de la prévention des risques psychosociaux, elle montre l'efficacité remarquable d'une formation à contenu essentiellement artistique : alors même qu'ils ont reçu pendant près de deux ans une formation en apparence éloignée de leurs préoccupations premières, les managers en ayant bénéficié sont moins stressés que ceux du groupe témoin ayant reçu une formation classique. Détail non négligeable, ces effets positifs sur le stress sont également observés chez les subordonnés des managers, lesquels n'ont pourtant pas suivi la formation en question.
Une des solutions les plus souvent avancées dans le traitement et la prévention des risques psychosociaux est la formation des managers. Or, comme le font remarquer les auteurs d'une étude suédoise récemment parue dans la revue Psychotherapy & Psychosomatics, l'évaluation de l'efficacité des formations au management n'est que très rarement faite, alors même que les investissements financiers qu'elles supposent sont souvent importants. L'idée défendue par les auteurs est que la complexité des questions auxquelles ont à faire face les managers impose que les formations qu'ils reçoivent soient à la mesure de cette complexité : « [l]es formations pour les managers [leadership programs] devraient mettre l'accent sur l'identité, les approches plurielles, la créativité, les émotions et la spiritualité. » Or, les formations conventionnelles « se concentrent sur les capacités cognitives et analytiques et des savoir faire standardisés. L'insistance sur une connaissance instrumentale et des méthodes prêtes à l'emploi peut donner aux managers une fausse confiance en eux-mêmes et le sentiment dangereux d'être capable de manipuler et de contrôler la réalité et les êtres humains avec des procédures standards. »
Ainsi, l'étude prend pour objet le stress des managers et de leurs subordonnés à la suite de deux programmes de formation au management : une formation conventionnelle, plutôt orientée vers les techniques de communication et de gestion de groupe, et une formation appelée Schibbolet, qui a été développée spécialement pour cette étude expérimentale, et qui repose sur un contenu artistique et philosophique. L’enjeu est donc finalement de comparer l’efficacité de formation d’une approche directe – formation centrée sur le management comme pratique professionnelle spécifique – et d’une approche indirecte – formation centrée sur une réflexion artistique, éthique et morale plus générale. Chacune de ces deux formations a été menée sur deux ans, avec une mesure biologique des niveaux de stress (taux de cortisol et de DHEA) et une évaluation psychologique par questionnaire à 12 mois et 18 mois, pour les managers comme pour leurs subordonnés. Ces derniers n’ont pas suivi les formations, mais l’hypothèse de recherche est que l’évolution du stress du manager se reflète chez ses collaborateurs.
Les participants à la formation Schibbolet n'ont pas été informés au départ du programme de la formation, ils l'ont découvert au fur et à mesure (alors que les participants à la formation conventionnelle se sont vus remettre dès le début un calendrier détaillé, censé à la fois les rassurer et les impliquer). Les sessions s'ouvrent sur un temps d'écriture pour lequel la consigne est simplement « Ecrivez ce qui vous passe par la tête ». Suit ensuite une performance artistique : des acteurs viennent lire, en présence des auteurs, des textes littéraires qui ont été associés à des montages sonores déroutants. A l'issue de ce spectacle, les managers sont à nouveau invités à écrire, puis à participer à des groupes de réflexion et de discussion du spectacle, et donc à traiter de questions morales et éthiques parfois très dures et débordant très largement le cadre de l'entreprise : l'amour, le pouvoir, les génocides, le viol... Un dernier moment d'écriture clôture la session. D'après les auteurs, « [l]a forme du spectacle, fragmenté, sans continuité ni contexte logique, est destinée à provoquer une tension et une surprise fortes et à mobiliser différents types de perception, à interpréter et comprendre la façon dont le contexte est construit, et à rassembler les différents fragments en un tout qui fasse sens (pensée par associations, analogies, et créative/gestalt). » Le résultat semble être que, bien que confrontés à cette complexité déroutante et à cette gravité, les managers se sont montrés moins stressés au cours et à l’issue de la formation – dont les effets s’inscrivent donc sur le long terme : leurs subordonnés ont bénéficié des mêmes effets positifs, les mesures biologiques tendant même à montrer que les baisses de forme physique et psychique liées à la période hivernale avaient été limitées. Alors que le groupe des managers soumis à la formation conventionnelle a dans l’ensemble connu une augmentation du stress – et leurs collaborateurs également -, ceux du groupe ayant suivi la formation fondée sur l’approche artistique a vu l’ensemble des éléments négatifs suivants décroître : l’épuisement émotionnel, les troubles du sommeil, les symptômes dépressifs, et le recours au « covert coping », c’est-à-dire à la dissimulation de son mal-être aux collaborateurs. Ce dernier point s’explique, selon les auteurs, par une plus grande ouverture d’esprit acquise par le contact avec la complexité du discours artistique : être capable de partager avec les autres des sentiments négatifs (dépréciation de soi, manque de reconnaissance) pour pouvoir en discuter de façon constructive est un art qui visiblement s’apprend…. L’étude conclut : « Les dirigeants les plus efficaces sont ceux qui sont capables de repérer les obstacles et difficultés qu’eux-mêmes et leurs subordonnés rencontrent au travail. […] la formation Schibbolet a augmenté la sensibilité des dirigeants aux situations humaines complexes (conflits, injustices) ce qui a influencé ensuite leur capacité à établir des jugements et à intervenir lorsque quelque chose se passait mal ou lorsque quelqu’un était humilié […] [Or,] les dirigeants faisant preuve d’éthique encouragent les autres à en faire de même. Cette réciprocité a donc amélioré l’ensemble du climat psychosocial […] : moins de bureaucratie, plus de tolérance, d’empathie, et plus d’expression d’opinions dissidentes et de questions éthiques. »
En d’autres termes, la solution aux conflits n’est pas tant de chercher à les fuir ou à les faire taire, mais plutôt de trouver des moyens novateurs de les prendre en compte et de les résoudre. Ouvrir la discussion à des questions dépassant le cadre strictement professionnel permet précisément de remettre les conflits en perspective : si la question humaine ne se laisse pas réduire à quelques règles de gestion, alors l’art de diriger peut apprendre beaucoup de l’art en général – le beau fait du bien…
Crédit photo : TheNose
mardi 1 mars 2011
"Travailler mieux plutôt que travailler beaucoup"
Michel Moral est coach en entreprise et superviseur de coachs. Centralien, docteur en psychologie, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Coaching d’équipe, outils et pratiques (2010, avec Michel Giffard) et Le manager global : comment piloter une équipe multiculturelle (2004). Son dernier livre, Tous les outils du coach, co-écrit avec Florence Lamy, sort ce mois-ci.
Travaillez-vous seul ou en équipe ?
Le plus souvent, à deux : cela permet d’avoir des implications à des degrés différents, et donc de garder un recul par rapport aux situations traitées. Il faut prévenir le plus possible le stress du coach lui-même car le stress de l’organisation se reproduit toujours sur l’équipe de coaching : c’est le phénomène de reflet systémique.
Sur quels aspects de la prévention des RPS le coach peut-il agir ?
Le coach repère et traite les éléments négatifs ou perturbateurs dans l’entreprise : l’excès de contrôle, la bureaucratie.... En d’autres termes, c’est sur la culture d’entreprise que le coach peut agir, quand elle est stressante. Par exemple, il y a un élément culturel dans le monde de la recherche qui est « travailler beaucoup c’est bien » : on travaille en effet pour le bien de l’humanité, et ce peut être le prétexte à tous les excès. Travailler mieux a sans doute plus d’intérêt !
Travailler mieux ?
Selon les contextes, on le définit différemment ; mais travailler mieux, cela n’a rien à voir avec ce que certains salariés entendent parfois : « vous pouvez faire mieux », commentaire trop vague, et donc terrible à entendre, dont on ne peut rien faire. Il faut exiger de savoir ce que « faire mieux » veut dire, au plan strictement factuel : pour un chercheur à qui on demande un compte-rendu, par exemple, ce peut être ajouter des tableaux, des schémas explicatifs ou une référence. C’est en cherchant à définir ces éléments concrets qu’on peut progressivement « travailler mieux ». Idéalement, ce que nous recherchons, c’est l’intelligence collective qui permet d’être efficace tout en ayant le bien-être au travail.
Qui vous contacte au sein de l’entreprise, la direction ou les salariés ?
Récemment, j’ai été sollicité par un comité de direction auquel un cabinet d’audit avait recommandé de recourir au coaching : pour ma part en effet, je travaille uniquement avec les directions. Tant qu’on n’a pas traité le problème à leur niveau, on n’a rien traité du tout.
Comment débutent vos interventions ?
Une possibilité est de travailler par questionnaire, autour des valeurs actuelles de l’entreprise. Nous les comparons aux valeurs désirées, celles vers lesquelles la culture d’entreprise devrait progressivement évoluer. Nous mesurons donc à un instant t un certain fonctionnement organisationnel et nous fixons de nouveaux objectifs pour l’organisation, dans une approche systémique : on ne peut pas faire du coaching pour la prévention des RPS en traitant uniquement les symptômes.
Comment travaillez-vous les résistances éventuelles à ce changement de valeurs ?
Le seul vrai moteur du coaching, c’est le désir : si les acteurs n’ont pas envie de changer, ils ne changeront pas – c’est le même principe que pour les thérapies. Le coach peut évaluer la capacité des acteurs à changer, leur en faire prendre conscience, puis travailler par exemple sur les transferts de pouvoir. On peut utiliser la motivation là où elle est déjà, et faire en sorte qu’on donne des moyens d’action à ceux qui sont prêts à porter le changement dans l’organisation.
Quel est le calendrier de ce type d’actions ?
Deux ans, trois ans… Ces processus de changements s’inscrivent dans la longue durée. Néanmoins, ils demandent également une certaine brutalité, au sens où la direction doit être vraiment motivée pour amorcer le changement. Le coach peut travailler sur cette motivation.
Quand est-ce qu’on sait qu’on a réussi à changer positivement la culture d’entreprise ? Ce sont les acteurs eux-mêmes qui vous le disent ?
Oui, et nous le vérifions par exemple en menant une nouvelle enquête par questionnaires : on peut cette fois-ci l’étendre au-delà du comité de direction, à toute l’organisation.
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